Hervé Kempf : « Je ne suis pas éco-anxieux mais politico-anxieux »
Fondateur et rédacteur en chef de Reporterre, Hervé Kempf est aussi l’auteur de la BD Comment les riches ravagent la planète, où il explore le lien entre dégradation de l’environnement et inégalités sociales. Portrait d’une figure du journalisme environnemental.

Dates importantes
2007. A l’occasion de la sortie de Comment les riches détruisent la planète, Hervé Kempf souhaitait lancer un site d’information pour montrer que les propos du livre n’étaient pas que théoriques mais correspondaient bien à une actualité, une réalité constante. Reporterre, « le média de l’écologie », naissait. Média indépendant en accès libre et sans publicité, il est financé essentiellement par les dons des lecteurs. « L’enjeu était d’arriver à intéresser à la question écologique auprès du plus large public possible à travers internet, un outil accessible et gratuit » entame le journaliste.
Depuis, Reporterre a bien grandi : seul jusqu’en 2013, Hervé Kempf compte désormais 28 personnes à ses côtés, dont 21 journalistes. Le public s’est aussi élargi, avec pas moins de deux millions de visiteurs tous les mois sur le site. « On ne vient plus lire des médias sur l’écologie ou l’environnement en tant que militant, désormais un lectorat moins sensibilisé s’intéresse aussi à ces questions » détaille l’auteur.
Au fil des années, la rédaction se renforce, surtout sur la science. Car pour le rédacteur en chef, une base rigoureuse, factuelle et précise de recherche et de rédaction est obligatoire afin de pouvoir expliquer, démontrer, confronter. Récemment, le recrutement d’un journaliste dédié à la consommation dénote une attente nouvelle du lectorat : « Les préoccupations des gens sont à l’échelle de leur quotidien : ils souhaitent savoir comment changer et améliorer leur consommation, leurs pratiques. C’est aussi un moyen de se réapproprier sa vie, de retrouver de la puissance afin d’agir au mieux à son niveau » précise Hervé Kempf. Et parce qu’il croyait en un monde plus écologique, le journaliste érigeait comme marque de fabrique de Reporterre des contenus qui relataient des alternatives et des solutions écologiques qui fonctionnaient, pour démontrer qu’il était possible de faire et vivre autrement. Sa façon de lutter contre l’éco-anxiété et le fatalisme.
La BD, un canal politique et pédagogique pour la jeune génération
La préoccupation écologique est devenue pour les enfants et les jeunes une préoccupation de vie : « Avant, l’écologie était l’affaire des écologistes et de quelques gens engagés. Depuis le Mouvement pour le Climat de 2018, ce thème a été approprié par ces nouvelles générations. » avance le fondateur de Reporterre. Avec l’obstination du système à aller dans le mauvais sens, Hervé Kempf se dit « non pas éco-anxieux mais politico-anxieux » face à la déconnexion totale et à l’incapacité des classes dirigeantes de changer leurs choix politiques et économiques.
Alors pour ces jeunes qui arrivaient effrayés par la gravité de la situation écologique et qui manquaient d’outils politiques, Hervé Kempf pense à l’adaptation de son livre en BD, un canal qui permet de mieux toucher ce public. En résulte une œuvre humoristique et pédagogique pour aider à interpréter le monde actuel et les solutions à disposition. Le rôle et la responsabilité des ultra-riches, et notamment les propriétaires de médias, est spécifiquement décortiqué. Pour l’auteur, l’enjeu était de montrer au jeune public que la presse n’est pas neutre et qu’il doit rester alerte. Ce qui, insiste-t-il, passe par se forger un esprit critique, apprendre à analyser des contenus et à qui ils appartiennent, tout en privilégiant la galaxie de médias indépendants qui existe aujourd’hui.
L’éducation, clé de voûte pour un monde écologique et coopératif
Indispensable. C’est ainsi que le journaliste considère l’éducation dans l’urgence écologique. Une question selon lui de choix pédagogiques et de volonté politique, qui, il l’assure, détermineront notre rapport au monde. « L’éducation est toujours fondamentale, c’est en formant les enfants, les jeunes, que l’on donnera la couleur de la société que l’on désire. C’est par la coopération plutôt que par l’autorité, par la participation plutôt que par la fonction du sachant, par un rapport à la nature plus fort que les choses changeront. » plaide Hervé Kempf.
Devons-nous être pessimistes ? Pour l’auteur, le nombre d’initiatives, d’idées existantes laisse largement d’espoir pour construire un autre monde. Bien qu’il admette l’angoisse que représente l’époque actuelle, surtout pour les jeunes générations, Hervé Kempf s’enthousiasme d’un monde à changer et à engager sur une nouvelle voie dans une situation historique, jamais vue. Faire ensemble, être en accord avec les valeurs du monde de demain, sobre et coopératif, voilà ce qui le réjouit : « beaucoup de projets sont déjà là : c’est un signe très positif car des personnes ont déjà expérimenté des initiatives qui fonctionnent et qui, si elles étaient appliquées à plus grande échelle avec une volonté politique, marcheraient. Il suffit d’arriver à donner la bonne impulsion pour passer d’action marginale à normalisée » conclut-il.