Urgence climatique : les enfants espèrent, les gouvernements trainent
L’urgence climatique menace les droits des enfants. A travers l’Observation Générale n°26 de l’Organisation des Nations unies, ils exigent des gouvernements des mesures immédiates pour faire respecter et protéger leurs droits afin de grandir dans un environnement sain et durable. Parmi les demandes figurent la coopération internationale entre gouvernements et l’élaboration de lois et politiques visant à empêcher les entreprises de polluer l’environnement. Mais aussi l’assurance d’un accès à la justice aux niveaux national, régional et international. Des requêtes réalistes ?

Eve Truilhé
Directrice de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), Directrice de l’UMR DICE (Unité Mixte de Recherche Droits International, Comparé et Européen), Directrice de la Clinique de l’environnement.

Eve Truilhé
« La déclaration n’étant pas un instrument contraignant, il est difficile d’envisager qu’un Etat soit condamné sur son fondement. »
Eve Truilhé est directrice de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), Directrice de l’UMR DICE (Unité Mixte de Recherche Droits International, Comparé et Européen), Directrice de la Clinique de l’environnement.
Un acteur de l’éducation
bonjour,
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Au vu du faible engagement des responsables politiques face à la crise climatique, comment les demandes formulées par les enfants peuvent-elles être appliquées via le levier juridique ?
Pour les appliquer, il faut prévoir un certain nombre d’instruments juridiques. Pour autant, c’est le schéma classique de l’évolution du droit : on observe d’abord une déclaration non contraignante au niveau international, puis l’élaboration d’instruments plus contraignants. C’est une question de temps avant que tout se structure, or le changement climatique demande des actions rapides.
L’Observation Générale n°26 produit certes un effet d’entraînement, mais nécessite une mise en œuvre dans les droits nationaux pour être applicable. On ne peut pas faire juger un Etat sur la base de l’Observation Générale tant qu’elle n’est pas contraignante. Ce qui est essentiel, c’est comment les états se saisissent de ces directives. C’est au niveau national qu’il faut aller les challenger : ce qui marche devant un juge national, c’est par exemple de dire à l’Etat qu’il n’a pas respecté ses engagements. Le problème est que le droit à l’environnement sain n’existe pas dans la Cour européenne des droits de l’Homme.
Il peut également y avoir des condamnations financières, mais ce n’est pas le but recherché : les requérants souhaitent surtout mettre la pression. Cependant, la France a par exemple eu une amende record pour dépassement des limites quant à la qualité de l’air. Il faut voir cette amende comme une astreinte : si l’Etat ne fait rien, il devra des millions d’euros. C’est un moyen de l’obliger à agir à travers une menace qui produit des effets. Concernant les entreprises, leur responsabilité sera démontrée sur d’autres terrains, comme le non-respect de leurs obligations.
Gardons néanmoins à l’esprit que les enfants n’ont pas de personnalité juridique : théoriquement, ils ne peuvent pas saisir un juge pour défendre leurs droits. Il faut donc imaginer des solutions juridiques. Un individu seul a peu de chance de voir aboutir son action alors que, groupé en association, la structure aura plus de moyens -matériels, législatifs, financiers- et donc plus de poids, comme avec l’Affaire du siècle. Cette formation force les états, politise l’action, et, si elle arrive à être médiatisée, permet d’obtenir gain de cause. Cela peut être une piste à creuser, en créant une association – qui doit être agréée et reconnue en France- agissant au nom des enfants.
Enfin, l’action est plus pertinente si les conditions de vie des enfants sont dénoncées à un endroit précis afin de mieux défendre leur spécificité (zone géographique, culture, etc.). Sur ce point, l’appui de la science est crucial. Tous les procès climatiques font une part très importante à l’expertise scientifique car il faut pouvoir prouver les effets du changement climatique. En ce sens, le rapport du GIEC a énormément fait bouger les choses.
Quant à une collaboration juridique nationale ou européenne, ce n’est pas une question qui s’est posée pour l’instant, mais ça pourrait l’être. L’important est de se structurer. Il existe d’ailleurs des juristes spécialisés dans l’environnement qui travaillent en réseau, et nombre d’entre eux s’intéressent aux droits des enfants.
Sophie Barbey
Directrice adjointe des opérations à la Fondation de Terre des Hommes, organisation internationale qui travaille avec les enfants pour lutter en faveur de la protection et du respect de leurs droits.
Quelle analyse faites-vous de l’implication des gouvernements ? Quelles pistes à envisager pour les pousser à agir ?
Bien que la Convention des droits de l’enfant ne mentionne pas explicitement le changement climatique, l’article 24 souligne le droit de l’enfant à la santé, incluant la lutte contre la maladie et la malnutrition, en tenant compte des risques de pollution du milieu naturel.
Trois angles d’approche existent pour lutter contre la crise climatique et peuvent être appliqués séparément ou ensemble pour un impact plus important. Le premier est l’atténuation, qui vise à réduire l’impact environnemental des activités humaines, notamment les émissions de gaz à effet de serre, en ayant recours à des solutions pérennes, justes et innovantes. Vient ensuite l’adaptation, pour développer des actions durables comme repenser l’utilisation de l’eau et améliorer la gestion des déchets. Cet axe permet de favoriser une économie responsable, réduire les inégalités et renforcer la résilience des communautés. Enfin, le troisième angle est le plaidoyer, qui sert à accentuer les efforts de sensibilisation et d’influence auprès des acteurs compétents et du public afin de promouvoir des actions sociales et/ou politiques en faveur d’un environnement sain.
Bien que les acteurs concernés, incluant entre autres les gouvernements ainsi que ceux du secteur privé, soient informés de l’urgence climatique, l’expertise et les ressources financières font encore défaut dans leurs administrations pour amorcer un vrai changement. Il est essentiel de continuer à engager ces acteurs sur les questions climatiques afin de les sensibiliser et de les responsabiliser. Et c’est là que la société civile doit jouer son rôle, que ce soit en matière de plaidoyer et/ou de sensibilisation sur les enjeux environnementaux et de les convaincre à inscrire ce sujet au sommet de leurs agendas.
En parallèle, il faut aussi impliquer de manière coordonnée les familles, les communautés, les collectivités et les milieux académiques. En ce sens, les enfants et les jeunes doivent être inclus dans ces discussions.
Cependant, il existe encore un manque de considération pour les opinions des enfants, souvent pour des raisons de méconnaissance ou d’ordre culturel et, dans cette optique, nous jouons tous un rôle : les institutions étatiques, la société civile, le système éducatif (accès à l’information et plateformes), le système judiciaire (accès à la justice et mécanismes des plaintes adaptés), le système de santé (systèmes pédiatriques adaptés), etc. Les gouvernements pourraient par exemple financer des réseaux de défense des droits des enfants, créer des groupes de réunions, les encourager à participer à des échanges stratégiques et allouer des fonds publics à la sensibilisation. Ces chantiers demandent des compétences, des ressources et des formations, essentiels pour respecter les demandes de l’Observation Générale n°26.