« Les animateurs et animatrices jouent un rôle primordial pour prévenir les violences sexistes et sexuelles »
Anne-Flora Morin-Poulard, déléguée fédérale des Francas, chargée de mission « conditions de vie des enfants et lutte contre les violences », rappelle la réalité du sexisme en France et propose des pistes pour agir à travers l’éducation.

D’où vient, selon vous, le sexisme ?
Comme rappelé par le Conseil de l’Europe, le sexisme naît des rapports de force historiquement inégaux entre femmes et hommes, conduisant à une organisation sociale patriarcale et à la discrimination, empêchant la pleine émancipation des femmes dans la société. Il en résulte des stéréotypes qui attribuent des qualités et caractéristiques supposées aux filles/femmes, aux garçons/hommes, et légitiment socialement des rôles hiérarchisés. Lourd de conséquences, il est à l’origine de violences faites aux femmes ainsi qu’aux filles et contribue à créer ce climat d’intimidation, de peur, de discrimination, d’exclusion et d’insécurité. Le cybersexisme est particulièrement dangereux car il se déroule dans un espace virtuel, favorisant l’anonymat, la dissémination et échappant au contrôle, en particulier des adultes. Il est essentiel d’apprendre à repérer les actes sexistes et à y réagir, y compris lorsque paroles ou attitudes paraissent inoffensives parce que banalisées. Chaque fois que l’on parle de façon sexiste de l’autre, cherchant ainsi à le rabaisser ou à instaurer un rapport de force, on contribue au maintien d’un environnement fondé sur des stéréotypes favorisant à terme l’expression de formes plus graves de violences. La domination masculine est encore et toujours à déconstruire. En 2019, 1,6 million de personnes déclaraient avoir été victimes de sexisme. 89 % étaient des femmes. Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes pointe que seulement 3 % des actes sexistes sont dénoncés alors qu’ils sont fortement répréhensibles.
Qu’est-ce que l’on appelle les « violences sexuelles » ?
Les violences à caractère sexuel recouvrent toutes les situations où une personne cherche à imposer à autrui un comportement ou des propos de nature sexuelle. Ces violences peuvent prendre diverses formes : les propos sexistes, le harcèlement sexuel, l’exhibitionnisme, l’outrage sexiste, le chantage, les menaces, les messages ou images pornographiques, les attouchements, les agressions sexuelles, les viols, etc. En 2020, 56 800 plaintes de victimes de violences sexuelles ont été recensées. Ce chiffre est largement sous-estimé car le nombre de victimes majeures qui déclaraient avoir subi des violences sexuelles est dix fois plus élevé. 55 % des victimes sont des mineurs de moins de 15 ans et dans 87 % des cas, la victime est une femme. La part des hommes parmi les victimes de violences sexuelles diminue avec l’âge : 22 % des moins de 15 ans, 8 % des 15/17 ans et 7% des majeurs. Ces comportements sont sévèrement réprimés par la loi. Ils résultent de rapports de domination et nient les droits fondamentaux de la personne humaine, en particulier la liberté et le respect de l’intégrité physique et psychique. Quelles que soient les violences à caractère sexuel, leurs effets sont destructeurs pour les victimes. La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a récemment estimé que 160 000 enfants sont victimes chaque année et que les enfants en situation de handicap ont un risque presque 3 fois plus élevé. Le caractère systémique des violences sexistes et sexuelles en fait un problème social, économique et politique dont nous devons être pleinement conscients. Chacune et chacun de nous est concerné en tant que citoyen, en tant qu’acteur éducatif ou en tant que militant de l’éducation populaire.
Comment les animateurs et animatrices peuvent-ils agir dans les centres de loisirs ?
Les animateurs et animatrices jouent un rôle primordial pour prévenir les violences sexistes et sexuelles. Protéger les enfants contre toute forme de violence est au fondement même de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et de toute action éducative. Pour agir résolument dans les espaces éducatifs, il faut articuler trois registres indissociables : la prévention et le repérage des violences, que celles-ci se déroulent ou non au sein des espaces éducatifs ; la formation des équipes de direction, de coordination et d’animation ; et le renforcement des actions d’éducation à l’égalité filles/garçons et d’éducation à la vie affective et sexuelle. Ces trois axes concernent tout autant les relations entre enfants que les relations enfants/adultes ou entre adultes. Il s’agit de garantir, quels que soient les publics, un cadre d’écoute et une capacité de signalement. Ce cadre ne se construit jamais seul et résulte d’une alliance avec les services chargés de la protection de l’enfance (cellule départementale et le 119), des associations spécialisées dans l’accompagnement des victimes, et avec les autorités administratives et l’institution judiciaire.
Comment repérer et signaler les violences ?
Il s’agit tout d’abord de comprendre ces violences pour trouver les ressorts d’action les plus efficaces. Le point de départ pour agir sur les violences sexistes et, plus encore, sur les violences sexuelles, est de conduire une réflexion sur le silence et la circulation de la parole. Pour que la parole se libère, il faut être prêt ou prête à l’écouter, être capable d’identifier les possibles situations de violence, et savoir distinguer les violences sexistes, des violences sexuelles. Autant de notions qui obligent à également regarder notre organisation sociale et l’ensemble des logiques de domination qui sont toujours à l’œuvre de façon sous-jacente : le racisme, le validisme, le sexisme, l’anti-LGBT, etc. Ces dominations génèrent des situations de harcèlement dont nous mesurons chaque jour les conséquences dramatiques. Pour nous aider, le « harcèlomètre » proposé par Anaëlle Schmit, professeure documentaliste, pose des repères pour identifier les comportements violents et malsains. C’est un outil simple qui participe de l’identification collective de situations qui ne sont pas acceptables.